Trop de pouvoir pour un seul homme
- Par maxdeomniiz
- Le 19/05/2019
- Dans ARTICLES
Nous pourrions même intituler cet article "comment un collaborateur se prend pour le parrain de la Mafia ?".
En effet, car cet article traite bien d'un problème récurrent en entreprise, et n'est absolument pas lié à l'autoritarisme du dirigeant, bien au contraire. Elle part souvent d'un collaborateur en manque de reconnaissance et à qui l'entreprise commence à donner un peu de pouvoir de décision. Sans occulter la responsabilité de la hiérarchie de ce nouveau "petit chef", ce dernier prend souvent les libertés qu'on lui donne mais s'en occroit aussi d'autres à travers un manque de communication notoire entre la base des salariés et le dirigeant. Et, il exploite au mieux cette faille car, quel salarié d'une entreprise française très hiérarchisée irait demander au dirigeant, une confirmation des décisions prises par ce nouveau manager ?
Le processus du "chef de meute"
Ce stratège, digne d'un participant de Koh-Lanta, est très difficilement repèrable pour plusieurs raisons. Déjà, il ne construit pas un mur en une fois, il prend le temps de poser chaque pierre et s'assure de la solidité de celle ci avant de poser la deuxième.Il prend le temps de séchage du ciment nécessaire et supprime toute aspérité qui pourrait déjouer l'atteinte de ses plans.
Il y a, me direz vous, un côté pervers narcissique dans cette démarche, et il en présente beaucoup de similitudes comme le besoin d'être valorisé, d'utiliser les collaborateurs, d'arriver à des fins personnelles mais une grande différence, c'est qu'il ne cherche pas à faire souffrir les autres, et ne tire aucun plaisir à la manipulation. Non, il se persuade juste que ce qu'il met en place est bon pour l'entreprise, que sa stratégie est la seule valide et qu'il est juste dans ses choix, quitte à devoir manipuler ceux qui émettent des doutes ou supprimer professionnelement parlant, ceux qui peuvent être un danger et le percer à jour.
Un exemple très concret à travers un responsable régional commercial, responsable d'une centaine de collaborateurs. Ce dernier va devoir convaincre l'ensemble de ses managers dans un premier temps pour que ces derniers fassent de même avec leurs collaborateurs.
1ère étape: Je fidélise
Il multiplie l'entre-soi avec au commencement des déjeuners en tête à tête avec chaque manager, puis des déjeuners réguliers avec tous les managers, puis des soirées après boulot, des dîners alcoolisés jusqu'à très tard, des team buildings grandioses et réguliers pour arriver à une adhésion totale de l'équipe (grâce souvent à la gêne de certains lors du partage des photos pas très glorieuses des soirées et pour d'autres ce sentiment merveilleux de faire parti d'un club VIP) ou ... l'éviction de ceux qui refusent de suivre. Généralement, ceux qui refusent d'adhérer sont souvent peu influençables, émettent donc des doutes, remettent en question de façon factuelle, et deviennent rapidement un danger potentiel pour ce "parrain" de l'entreprise qui n'a aucune réponse logique à leur apporter. Ils seront alors remplacés grâce à la 2ème étape.
2ème étape: Je vérifie
Cette grande "famille" de manager créée grâce à l'étape 1 doit être un bloc solide avant de passer à la suite, et cela va pouvoir se vérifier avec cette nouvelle étape: le service personnel. Très utilisé par ce "parrain", il va convoquer les membres de cette nouvelle alliance puis annoncer, à la manière de Marlon Brando lors du premier volume du Parrain "J'ai besoin d'un service, la nouvelle manager Viviane doit déménager Dimanche 1er Mai et, comme vous le savez, Viviane est seule avec ses enfants, elle n'a pas les moyens de se payer un déménageur, donc je propose que nous allions tous l'aider, ce sera notre team building du week end" puis d'apostropher Viviane dans la salle "Moi je ne peux pas venir mais Viviane, tu n'oublieras pas de me dire qui est venu ?".
Ca y est, le piège se referme: ceux qui sont fidélisés ne se posent même pas de question ("bien sûr que j'y vais, j'adore Viviane"), ceux qui sont entre deux ("J'adore Viviane mais c'est quand même Dimanche 1er Mai, que va dire ma femme ?") et les sceptiques courroucés comme Blanche ("Non mais sérieusement, on est dans une entreprise, c'est quoi cette menace à peine cachée de nous obliger à rendre service un dimanche ?").
Je ne vous laisse pas imaginer que tout ira bien pour les derniers car, bien entendu, ce seront les seuls à ne pas s'y rendre, Viviane, souvent le bras droit du "Parrain", aura fait son rapport et ils seront alors éliminés du système dans la 3ème étape.
3ème étape: Je consolide
Il y a fort à parier que le sceptique courroucé de la 2ème étape, que nous avons appelé Blanche pour l'histoire, n'aura pas vu le danger qui la guette donc, ne se sera pas préparée à la suite qui l'attend.
Là, le "Parrain", qui s'est transformé en véritable chef de meute, attaque une dernière étape cruciale: déléguer la stratégie de consolidation aux managers fidèles. Et il le fera de manière très fine en identifiant bien en amont avec eux, leurs collaborateurs en capacité de devenir manager. Attention, je précise, pas en ayant des compétences de manager, ou une légitimité sur le poste, mais une fidélité absolue au chef de meute, voire même qui se seraient proposés spontanément à aider Viviane pour son déménagement.
Il est évident que les managers sollicités auront toujours des noms de collaborateurs à proposer: "Regarde, Julien c'est un bon, il a des résultats moyens mais il ouvre l'agence à 8H, il repart à 19H, c'est lui qui m'a ramené chez moi à la dernière soirée qu'on a fait avec l'équipe tellement j'étais torché, il est facilement évolutif" ... Comprenez manipulable et futur manipulateur dans évolutif, bien sûr. Ce Julien est alors intégré aux soirées managers pendant que Blanche n'est plus conviée. Blanche est aussitôt isolée, même lors des journées de travail normales pendant que ces apprentis stratèges de Koh-Lanta sont en train de préparer le vote du conseil.
Lorsque Julien est adoubé et que le chef de meute a vérifié sa loyauté ("Ca y est chef, j'ai fini de nettoyé votre voiture"), Blanche, quant à elle, est convoquée par la RH car Julien, qui s'avère être dans son équipe, a expliqué qu'il subissait un harcèlement moral sévère, et que cela nuisait fortement à ses résultats qui n'ont jamais progressés depuis 6 ans... Et Blanche ne saura même pas expliquer au DRH que ce "Parrain" l'avait obligé à déménager une collègue un Dimanche 1er Mai, qui pourrait croire ça franchement ?
La boucle est bouclée, l'équipe est consolidée.
La pérennité par les résultats
Nous entrons maintenant dans la phase mafieuse du chef de meute, pas la plus glorieuse, et elle nécessite même de prendre des risques.
Ce "Parrain" en herbe, continue de fidéliser son équipe, mais si il veut que son train de vie se pérennise, il doit marquer les esprits, notamment sa hiérarchie voire l'ensemble de l'entreprise, avec des résultats forts, constants ou en forte progression. Au vu de la manière de recruter, ce ne sera pas grâce à la compétence des managers ou des commerciaux en place, il faut donc trouver une façon d''obtenir une légitimité facilement, sans contrainte, et fortement valorisante.
C'est là qu'entre en jeu la stratégie du "Parrain": Je vends donc je suis, peu importe comment.
Pour vendre des assurances en santé par exemple, il y a une façon très simple de faire du chiffre, à condition de ne pas être très regardant sur la sinistralité, comme lier des partenariats avec hopitaux pour qu'ils fassent souscrire tous ceux qui entrent à l'hopital sans mutuelle. Pour la vente de crédit, c'est l'accréditation du responsable régional qui est utile pour permettre à des dossiers proche d'une interdiction bancaire d'être validé. Et si jamais vous vendez un produit fini, alors c'est le pourcentage de remise autorisé qui est utilisé sans parcimonie pour augmenter le chiffres d'affaire, sans même penser au bénéfice nécessaire à la survie de l'entreprise.
J'imagine très bien que certains puissent être sceptiques face à de telles pratiques en entreprises mais il y a des raisons pour lesquelles celles ci ne sont jamais découvertes, c'est pourquoi l'affaire Kerviel fait office d'exception.
Toute personne à un moment de sa carrière atteint son niveau d'incompétence. Et, comme ce dernier n'a absolument pas envie de perdre son poste, il va lui falloir montrer qu'il a des résultats, peu importe les moyens, car, en France, les résultats sur objectifs sont la preuve de la réussite ... mais pas que !
2- La hiérarchie cautionne
Ben oui, c'est bête comme chou ... Si le patron de ce manager n'a pas de résultats, sa compétence dans le poste est aussi remise en cause. Donc, comment imaginer qu'un patron désavoue son meilleur manager si celui ci lui apporte une visibilité et pèse un pourcentage important de son chiffre d'affaire ?
3- Le "parrain" a des arguments valables
A l'instar d'un avocat qui défend l'indéfendable, le chef de meute s'expose pour ses managers et les défend face à ceux qui chercheraient la vérité. Si la direction technique d'une société d'assurance alerte sur la dérive de sinistralité, le "Parrain" expliquera que c'est cette même Direction Technique et ses actuaires qui n'ont pas su calibrer la tarification... Si c'est la Direction Générale qui compare avec d'autres régions moins sinistrées, le "Parrain" expliquera que "ce n'est pas pareil", sa région est plus urbaine, plus consommatrice ... Ou encore, si c'est le contrôle interne qui ne comprends pas les anomalies sur certains dosiers de crédits, le "Parrain" saura expliquer que le risque est calculé car les process mis en place ont été respectés et qu'il n'est pas responsable de la mauvaise foi des clients ... bah oui, pourquoi pas ?
La fin du règne
Elle n'est pas pour tout de suite et c'est un peu de la faute de notre système éducatif.
Nous sommes tous programmés tout au long de notre vie, depuis notre enfance et jusqu'à la fin, à respecter les règles.D'ailleurs, la grande majorité d'entre nous paye ses impôts à l'heure et sans tricher, respectent le plus possible les limitations de vitesse, ne prennent pas de risques inconsidérés, courbent l'échine face à leur hiérarchie ou face à un uniforme, acceptent des décisions injustes de leurs politiques ... bref, ils subissent un système qui leur explique comment éviter d'avoir des ennuis. Une autre partie, plus infime, cherche à profiter de ce même système, sachant qu'ils ont très peu de chance d'être contrôlés car, il existe une dernière partie, encore plus infime celle ci, qui cherche véritablement la vérité, et ces derniers sont vraiment très rares.
Qui va donc aller solliciter un service interne ou externe pour dénoncer des dérives ? ... La réponse est personne car cette preuve d'initiative, que l'on trouve d'ailleurs dans l'affaire Carlors Ghosn uniquement car le collaborateur qui l'a trahi était acculé, est souvent muselée par le risque encouru:
- Si personne ne me croit, je vais devenir une cible par la personne que j'ai dénoncé (peur des représailles)
- Si je le dénonce, il va montrer les preuves que j'étais dans la combine (peur des condamnations)
- Si jamais je trahi, je vais passer pour un traître (peur de l'image renvoyée aux autres)
- Si il s'en va, le nouveau ne va plus nous accorder autant d'avantages (peur de l'avenir)
Enfin bref, avec des "Si" on ferait autant d'extrapolations que de promesses avec un "Moi, Président", et ce sont souvent des excuses pour justifier la peur que l'on nous a appris depuis notre tendre enfance.
Conclusion
Il n'y a pas de petite ou de grande entourloupe. Il y a surtout des gens compétents et ceux qui ne veulent pas le devenir. Un chemin difficile ou de l'argent facile.
Il ne faut pas avoir peur de dénoncer des dérives qui n'assurent pas la pérennité de l'entreprise, et les belles histoires inventées par un collègue peu scrupuleux, contées à votre patron, risquent de vous coûter votre place, votre salaire et votre maison si elles mettent en péril l'économie de l'entreprise et que vous ne les dénoncez pas.
Le statut de lanceur d'alerte est maintenant inscrit dans le marbre de la loi française grâce à la loi SAPIN II, et c'est un premier pas pour supprimer les dérives mafieuses de ceux qui manipulent la vérité.
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